Je suis indigné, parce que je ne peux pas faire autrement. Depuis gamin je suis plutôt curieux, je regarde le monde et je me pose des questions. La plupart des enfants font ça, ce qui exaspère souvent les parents.
« – Finis ton assiette, pense aux petits biafrés qui n’ont même pas à manger !
– Pourquoi ils z’ont pas à manger les biafrés ?
– Finis ton assiette… »
« Pourquoiiiiiii ? Pourquoi pourquoi pourquoi ? Pourquoi la lune ? Pourquoi les abeilles ? Pourquoi la guerre ? »
Et pourquoi cela semble s’atténuer avec l’âge, ce questionnement permanent ? Les adultes ne semblent pas disposer de toutes les réponses, mais plutôt se satisfaire de ne pas en avoir. Je ne suis pas satisfait de ce que je sais, et je ne suis pas certain de vouloir guérir cela. Ça ne me rend pas immédiatement plus heureux, notez bien. Mais je ne perds pas mon envie d’en savoir plus, et de savoir mieux. Pas sûr que ça me rende plus mauvais au fil du temps. J’y tiens à ce questionnement, malgré les désagréments, tout comme à l’indignation qui en résulte. Ce n’est pas une « posture » intellectuelle, comme j’entends souvent, c’est une émotion qui s’impose à moi et que je dois apprivoiser. J’ai – comme d’autres – une certaine idée de ce que doit être un « honnête homme ». Une idée lumineuse, dont on peut faire le cruel constat qu’elle ne pénètre pas toutes les âmes de ce monde…
Même que certains me jettent des cailloux ! Poser des questions de nos jours, ça paraît suspect. « Mais quel enfant mal grandi celui-là, avec ses questions naïves. » Invitez-les à faire de même, à questionner le monde avec vous, et c’est terminé : vous êtes un dangereux illuminé. Quand je réponds « pas illuminé : éclairé », je m’amuse tout seul en même temps que je me disqualifie aux yeux du profane. Il faut dire que regarder le monde, c’est vrai, ce n’est pas forcément agréable : dans le monde il y a de grands malheurs, et des injustices telles qu’on en perd l’appétit. Il y a aussi son propre caca ! Je parle aussi bien de vos excréments que des conséquences – éventuellement fâcheuses – de vos actions et de votre inaction.
C’est drôle, quand je dis « je suis indigné », trois réactions reviennent souvent :
1/
« Moi je suis pas indigné, je suis révolté ! ». Sorte de reproche de me voir souriant au milieu d’un monde gris. Voudrait-on que je désespère ? L’indignation mon jeune ami, ce n’est pas un euphémisme de la colère. C’est même tout le contraire. C’est canaliser sa colère dans le partage de celle-ci avec d’autres. Il est amusant de remarquer que les révoltés autoproclamés ne prennent que rarement part au changement du monde qui pourtant, tout comme à moi, ne leur convient pas tel qu’il est.
Indigné-e-s, ce n’est qu’un mot. Il ne sert à rien d’autre qu’à se reconnaître entre nous. Il a d’ailleurs l’inconvénient de « nous » identifier facilement et de permettre à la machine de propagande d’y accoler tous les émotions négatives possibles. Indignés fainéants parasites hippies pirates terroristes Al Qaeda. Je n’exagère même pas.
Révoltés, dégoûtés, scandalisés, écoeurés… des tas de gens partagent ce constat simple, accessible à tous ceux qui n’ont pas la tête dans le sable : le monde actuel n’est pas le meilleur possible. Loin de là. La société pourrait être organisée bien plus intelligemment. La violence et l’arbitraire ne sont pas inscrits dans les gènes humains, et si le monde actuel est le fruit de la bêtise de nos ancêtres et des autorités en place, le monde de demain, celui que partageront nos enfants, résultera de nos actions, à NOUS.
Si tu es neutre en situations d’injustices, tu as choisi le parti de l’oppresseur. Desmond Tutu
2/
Parfois on me répond : « Indigné d’accord, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? » Là je suis bien embêté, je n’aime pas qu’on me dise quoi faire, je vais quand même pas te dire ce que toi, tu dois faire ? Ce sera ta réflexion et ton chemin. On pourra s’accorder sur le fait que « ne rien faire » ne produit pas beaucoup de changements… On appelle ça la résignation, et c’est un combat de tous les jours de ne pas y sombrer. Après se pose donc la question du « que puis-je faire? » et là je pourrais en faire des romans en 10 tomes tant cette question est centrale pour moi. J’ai des réponses, puis je n’en ai plus, et celles-ci ne sont de toute façon valables que pour moi. Se demander quoi faire c’est une des plus vertigineuses questions que l’on puisse se poser, car elle découle d’autres questions qui n’ont pas encore de réponse stable et ne sont pas vouées à en avoir : « qu’est-ce que le Monde ? » et « quelle place dois-je y occuper ? ». Vaste merdier. Là pour l’instant, je tapote des mots que je publie dans un blog, je donne des papiers aux gens dans la rue. Et deux/trois autres bricoles.
3/
Enfin, certains me répondent « Ah bon, mais qu’est-ce qui t’indigne donc ? ». Non là, vraiment, ceux-là ils le font exprès.